
Aujourd’hui, elle n’est plus là, elle est partie pour son dernier voyage, le voyage d’où personne n’est revenu. Elle était souffrante, d’une maladie incurable. Elle donnait des signes clairs de son départ, de sa mort, jusqu’à ce que ce jour arrive, sans même une longue agonie, et elle part, sans cris, sans larmes, et même sans trop de souffrance. La mort quand elle est attendue, quand elle est inévitable, elle est plus facile à supporter, elle est comme une délivrance, un repos définitif…
Après une mort, il y a toujours un deuil. Une période de recueil de tout ce qui est lié à la disparue, de tout ce qui est beau. Le souvenir de son rire et de son sourire, le souvenir de ses bavardages quand elle ne savait pas la fermer, le souvenir de ses confidences qu’elle lui dévoilait, le souvenir de ses larmes quand elle est peinée et qu’il était le seul à savoir la consoler, le souvenir de ses mots quand elle est jalouse et ne fait que bouder, le souvenir de son souffle et de ses gémissements quand par ses caresses elle était emportée, le souvenir de sa tendresse et de son dévouement, le souvenirs de son sixième sens qui le comprends sans besoin de parler...
Pendant la période de deuil, le jour, ce sont ses pas, ses mots et ses gestes répétés qui lui manquaient le plus, et la nuit, c’est sa place vide et froide à ses cotés quand il s’allongeait, c’est seulement quand elle posait sa tête sur son épaule qu’il pouvait fermer les yeux et dormir le plus satisfait, et c’est seulement la nuit qu’il peut laisser libre court à ses larmes pour couler, perdre celle qu’il a fortement aimé n’est pas facile à supporter…
Pour elle, le deuil dure quarante jours, un chiffre sacré lié à tout ce qui est sacré. Pendant ces jours, l’homme qui a vraiment aimé, ne devait avoir autre pensées que pour celle qui l’a quitté. Quarante jours c’était un minimum pour pouvoir reprendre une vie normale dans les pensées, et penser à autre chose qu’à ce qui les a un jour liés. Et tant le lien est fort, tant le lien est vrai et sincère, la période de deuil est plus longue, parfois elle dure même des années…
On a toujours cru qu’un mort ne sent plus rien, que le vivant doit vite surpasser sa peine et reprendre vite sa vie en ne pensant qu’à lui. Mais même un mort, de son monde invisible laisse pour un moment son âme errer, voir comment le monde puisse sans lui marcher. Et personne ne peut imaginer, quelle douleur il pouvait sentir quand on ne l’a même pas honoré par une période de deuil…
Elle le voyait dès les premiers jours, tourner la page comme si elle n’avait jamais existé, qu’il n’a pas tardé à serrer une autre à son torse où elle habitait, et, de son esprit, il l’a définitivement chassée… Qu’il… Qu’il… Qu’il… Elle ne pouvait même pas en parler, ça fait plus mal que la mort elle-même… Elle avait besoin d’un deuil, elle avait droit à une période de deuil, c’est le moindre acte de respect pour une morte qu’on a prétendu aimer…
Devant une telle situation, des paroles que ma grand-mère disait me reviennent à l’esprit, et ce qu’elle dit est toujours vrai, « la mort de la femme pour un homme n’est qu’un coup au coude », très douloureux quand on le reçoit, mais la douleur disparait si vite comme si elle n’a jamais existé. Elle disait aussi, qu’un homme, en route pour enterrer la femme qu’il a le plus aimé, ne fait que la pleurer, sur le chemin de retour, il pense par qui il puisse la remplacer. Ces paroles ancestrales ne savent pas mentir, elles sont toujours fondées sur la dure réalité…
Le deuil d’un homme pour la femme de son cœur ne dépasse pas le trajet vers la tombe, et comme tout est beaucoup plus rapide depuis un siècle, la période de deuil ne dépassera pas le temps que dure la douleur causée par un coup au coude. Mais le deuil est un droit qui a l’effet d’apaiser le mort lui-même, alors chacun doit en bénéficier, c’est la moindre des choses…
PS : Ce qui est écrit sur cette note ne peut point être généralisé, mais ça fait partie de la réalité…